Carte blanche à Jean Maureille et à son invité Luc Rigal

Garage Donadieu à Cahors du 6 au 14 octobre 2007

En cette année 2019 de refonte de ce site internet, j’ai retrouvé le texte ci-dessous écrit dans l’enthousiasme de la mise en place de l’exposition que j’ai concoctée du 6 au 14 octobre 2007 en associant Luc Rigal dans la galerie du Garage Donadieu à Cahors.(voir les photos ci-jointes)

Aujourd’hui, je retrouve les émotions qui transpirent dans ce texte et qui sont au cœur de mon travail avec toujours la spontanéité et le hasard comme compagnons fidèles, avec l’adrénaline de l’urgence qui titille le temps qui passe !
Ci-dessous également à lire le texte de mon complice Luc Rigal dans cette exposition commune.

Je voudrais ici souligner que ce compagnonnage entre Luc et moi a été à l’origine de notre aventure de la galerie-vitrine « Le Pas de côté » pendant 5 années d’installations artistiques offertes à Cahors au passant de la rue de 2012 à 2017.
Nous continuons nos délires chacun de notre côté ou ensemble, mais toujours avec cette proximité amicale et artistique qui est le ciment de nos créations.

D’abord Jean Maureille…

VOICI DONC CE TEXTE QUE J’AI ÉCRIT LE 8 OCTOBRE 2007

Ce matin j’ai couché sur ces feuilles, quelques réflexions sur ma raison d’être ici, avec vous, et que je vous livre après trois jours d’exposition et surtout après toute cette préparation d’expo qui est déjà une aventure humaine simple, sincère et enthousiasmante.

Une belle histoire…

Cette carte blanche m’a remis en mémoire tout ce parcours que nous avons en commun, Luc, depuis l’atelier du groupe Mouche, sur le boulevard Gambetta, dans les années 1977 à 1983 et jusqu’à aujourd’hui où nous nous retrouvons dans ce lieu magique de rencontre : c’est le mot liberté qui fait lien, cette liberté  régnait alors et que je retrouve ici, dans cette galerie du « Garage Donadieu» : mon atelier, lui aussi, était dans mon appartement du boulevard Gambetta, tout comme cet est dans la villa de nos amis Michel et Françoise. Nos rencontres du samedi, entre ces jeunes de 15 à 18 ans – « des copains de génie » selon l’expression que j’emprunte à Alain Priard – et moi, avec ma trentaine, étaient d’une liberté totale, sans jugement de l’un sur l’autre, sans aucun engagement financier- sinon ce pot de chambre commun dans lequel nous mettions quelques sous pour nos toiles, peintures, colles, affiches, invitations… Car il y a eu 3 expositions dans le grand espace de l’office de tourisme de Cahors qui furent autant d’aventures chaleureuses et informelles : peintures, collages, installations, dessins, photos, sculptures, assemblages…Tout était déjà là dans un esprit très iconoclaste et même sûrement plus impertinent et agressif que maintenant, 1968 était tout frais…

Influences et amitiés…

Chacun est maintenant loin de Cahors, l’un à Paris assistant de Thomas Hirshorn, l’autre musicien au talent de dessinateur certain à Carcassonne… d’autres suivent leurs destinées artistiques ou non… Et puis il y a toi, Luc, le parisien de Cahors. La bande dessinée, le dessin aux personnages ébahis qui se demandent ce qu’ils font là, et qui réapparaissent aujourd’hui dans tes toiles, puis très vite la peinture…Ton œuvre prend chaque année une dimension certaine, toujours avec en fond cet attachement pour notre Lot, attachement qui nous rassemble bien sûr… En dehors de nos liens d’une amitié constante, tu ne te doutes certainement pas de l’influence que tu as eu sur mon travail tout au long ce parcours que j’ai partagé avec toi, avec tes éclats de rires bien sûr, mais avec tes réactions, tes enthousiasmes et tes avis toujours pertinents à mes yeux.

Nous continuons…Toi à Paris, puis moi à Cahors avec des amis chers : Jean-François Maurice, qui à travers ses éditions de Gazogène s’est intéressé à mon travail, tout comme Laurent Guillaut, conservateur, qui m’a donné l’opportunité  d’exposer des vitrines au clin d’œil certain dans ce musée de Cahors. Et toi, Jean Rédoulès, qui m’a dit un jour « Il y en a beaucoup qui batifolent dans les objets, mais toi, tu vas à l’os »

Puis aujourd’hui, ici, merci donc à Michel et Françoise, avec leur proposition de rencontres libres, avec le cœur qui forge des amitiés nouvelles et qui nous ont accueilli avec ces mots :

« En donnant une carte blanche à Jean Maureille – obje(c)teur – qui a choisi d’inviter le peintre Luc Rigal, cadurcien d’origine et parisien aujourd’hui, nous ouvrons nos espaces à deux créateurs atypiques pour une rencontre de deux amitiés de 30 ans qui  ne manquera ni de force, ni de puissance imaginative et sera sûrement secouée de rires iconoclastes. Avec des impromptus de « libres paroles, libres personnes »… Ça va déménager… » 

« Eparpillé tu te rassembles dans ton atelier», comme ajoute Michel.

Oui, cette carte blanche, comme une page blanche pour l’écrivain, m’oblige à me rassembler…

Puis Luc Rigal…

ET VOICI LES ÉCRITS DE LUC RIGAL À PROPOS DE NOTRE EXPOSITION COMMUNE

CONFLUENCES

Me voilà donc invité par Jean Maureille pour une exposition commune au Garage. Dans ce lieu insolite de propositions plastiques, confluences propices aux coups d’envoi, aux expériences inespérées…
À vrai dire, nous n’en sommes pas avec Jean au coup d’essai. La première fois remonte à 30 ans exactement, toujours à Cahors, quand mon turbulent ami s’était mis en tête de faire le pédagogue avec une poignée d’adolescents griffonneux, dont moi-même. Il a depuis ce temps accumulé d’honorables monceaux d’objets trouvés assemblés, dessins diversement jetés sur le papier et autres redécoupages inspirés de figures de magazine – cette présentation en donne un aperçu d’ensemble. J’ai quant à moi nourri mon atelier parisien de multiples peintures et dessins et de quelques sculptures tout imprégnés, je le souhaite, de la mémoire vive de mes racines et de mon sentiment intense pour ce pays.

L’utilisation de plusieurs moyens d’expression n’empêche pas de reconnaître pour chacun de nous un médium plus particulièrement représentatif de son activité : disons pour Jean l’objet, et pour moi la peinture. Deux domaines dont les esprits chagrins ne manqueront pas de dire l’incompatibilité… Ce n’est pas vrai. La peinture est arrivée à un moment de son histoire où il lui faut évacuer les formules de représentation littérale et la gloriole convenue qui concourent à son confinement idéologique si elle veut renchérir sur l’aventure poétique et réflexive qui est la sienne. L’objet peut lui servir d’exemple. Il a l’immédiateté de la présence qui s’adresse à tous. Direct et incommodant comme le réel. Mais l’objet n’a plus la brutalité symbolique qui l’a rendu emblématique des bouleversements sociaux promulgués par Dada et les surréalistes. La nouveauté de son efficacité l’a récemment précipité comme faire-valoir de l’académisme contemporain le plus désinvolte et le plus tape-à-l’œil. L’alibi du résultat. Les artistes « tendance » ont maintenant recours à des sociétés de prestation technique dont la main-d’œuvre exécute pour eux leurs monumentales productions. Pas de pratique manuelle. Pas de connaissance du matériau. Le créateur est un entrepreneur. L’exceptionnelle potentialité du langage de la peinture, son inscription profonde dans la physicalité des éléments permettent qu’à son tour elle contribue à rétablir l’affirmation d’une perception sensible, et qu’en l’occurrence elle apporte un démenti à ce type de détournement intéressé.

C’est bien admis : la picturalité n’est pas l’apanage du coup de pinceau. Mais c’est la peinture qui en instruit l’expérience lorsqu’elle opère, dans les années 40, un éloignement significatif vis-à-vis de l’image. Dénommée « informelle », elle procède en effet à cette époque à l’intégration directe de la matière dans l’espace du tableau, donnant à la pure visibilité du fil à retordre… Cette émancipation de la picturalité, les objets de Jean en sont le rappel, qui gardent en évidence et comme atout de leur révélation au regardeur la marque du travail sur la matière que le temps et le hasard lui ont imprimé. Il ne les « nettoie » d’ailleurs jamais, comme il le dit lui-même, car il a bien conscience de l’importance de cet aspect sur leur étrange humanité.

De mon côté, on n’aura pas de mal non plus à repérer le point de convergence : on peut deviner, en s’approchant de mes figurations, qu’elles ont été souvent élaborées à part du fond qui les supporte et rapportées ensuite sur la toile selon le procédé de l’assemblage, celui-là même qu’utilise Jean pour ses récupérations. Cette technique spécifique de l’objet me permet de donner libre cours à l’expansion du geste, et par un effet infime de décalage d’insister tout à la fois sur l’inadaptation de mes personnages à leur environnement.
Ces emprunts suggérés par la modernité conviennent à nos objectifs respectifs et nous nous y retrouvons. Mais mieux encore que cette disposition, ce qui certainement nous rapproche étroitement, c’est le caractère outrancier et spontané de nos expressions qui en est l’initiateur. Ses manifestations sont diverses.

L’improvisation d’abord : elle est essentielle à l’opération mentale d’association que pratique Jean, je ne la dissocie pas de l’organisation complète du tableau. C’est l’improvisation qui met au jour les chemins de traverse, détours ou raccourcis que l’esprit ne tenterait pas de lui-même si on ne le prenait de cours. S’y adjoint un goût assuré pour le débordement, la surprise intempestive et éloquente que donne le matériau quand on le laisse participer à l’expression. Ce qui suppose un intérêt pour la vie concrète (ses apparitions, ses surgissements) et une méfiance pour ce qui viendrait l’enjoliver – la joliesse n’a jamais servi, en art, qu’à discipliner les émotions. L’exagération expressive vient embrayer dans ce sens. Enfin, et ça ne me paraît pas secondaire, on peut relever que nous ne pratiquons pas l’exclusive du profane. Nul besoin d’être familier avec l’histoire de l’art pour parcourir cette exposition. C’est bien plutôt un manque d’attention au plus élémentaire du quotidien qui pourrait faire barrage à nos intentions.

De cet élémentaire, ce serait une erreur de distinguer la faculté imaginative du public. Jean dit souvent que l’observateur participe à la réalisation de l’œuvre (sa mise à la réalité). Je crois aussi qu’il n’en est pas exempt et qu’il se passe une relation intéressante de rapprochement et de relance de l’expression sensible entre celui qui montre et celui qui voit. Ainsi le regardeur « comprend-il » les objets de Jean quand ces objets l’incitent aussi, par leur influence, à étendre son expérience émotive au-delà des murs qui l’accueillent.

Si l’on veut en prendre la mesure, un retour sur les pratiques mondaines, si évidentes dans le milieu bourgeois de la culture, peut être utile : ces pratiques concernent maintenant de façon toujours plus directive tous les aspects de la consommation quelle qu’elle soit. Elles engagent chacun à se tenir pour exceptionnel lorsqu’il se divertit par l’industrie du loisir ou compose son repas dans les rayons d’une grande surface. L’omniprésence du marketing permet de maintenir vivace cette mondanité, étant entendu que consommer, c’est donner à produire selon des termes et un taux de profit qui se décident aujourd’hui à l’avance. On voit où je veux en venir : le rythme effréné du capitalisme néo-libéral répercute en chaîne cet individualisme fantasmé et accroît d’autant les signes distinctifs liés à la consommation : être toujours plus important, plus unique et dégagé du collectif que son voisin. L’individu se coupe ainsi de la communauté productive tandis qu’il s’assimile à des micro-communautés corporatives et culturelles.

L’actualité artistique s’inscrit dans ce processus. Les célébrations d’intention, les certificats d’avant-gardisme ne sont plus là garants d’aucune opposition. La division entre artistes correspond maintenant à d’autres critères. Il y a ceux qui se prêtent à la promotion du particulier mondain et ceux qui s’y refusent. Les uns se plaçant volontiers sur le plan de la communication et des médias, et ne rechignant pas devant l’ascendant austère du message émotionnel ou visuel, n’ont pas grand-chose en commun avec ceux qui cultivent au contraire le lien direct le plus indemne de la réduction technique ou de message. Deux conceptions que l’actuel brouhaha des styles brouille avantageusement.

Les travaux rassemblés au Garage se revendiquent de la seconde catégorie. Ceux de Jean parce que leurs combinaisons ludiques cachent en sous-main une stratégie de dénonciation de l’ostracisme et du puritanisme masqués inhérents au message. Les miens parce qu’on peut comprendre au gommage de toute personnalisation apparente qu’ils proposent une valorisation du rattachement à la communauté humaine dans son ensemble.

Notre civilisation technicienne centralisée tend à priver les secteurs d’activité qui sont en échange symbiotique avec la nature de leur prérogative à l’autonomie. C’est le cas de l’art, qui coordonne la terre à la culture ; c’est le cas de l’agriculture, qui coordonne la terre à la survie. Comment dès lors se reconnaître complice d’un ordre socio-politique international qui n’envisage pour ses paysans qu’un avenir de salarié industrialisé ou de jardinier à tourisme ? Il ne me semble pas inopportun d’en faire la remarque ici, à Cahors même, où la ruralité côtoie l’urbain, dans une confluence cette fois territoriale…

Je ne crois pas qu’il soit de la nature de l’expression plastique de demeurer cloîtrée dans ses acquis, ni de celle de l’artiste de se satisfaire des émoluments que lui rapportera sa manière. Il lui faut se resituer, hors contexte assuré, se déplacer rapide et loin de « l’infinie suffisance » qu’Asger Jorn avait joyeusement raillée, un jour heureux, sur une toile. Il existe à cet égard, exposée ici, une pièce récente, signée Jean Maureille, assez représentative pour l’évoquer maintenant en conclusion. On peut la voir, critique et solitaire, dans le jardin qui entoure le Garage. Composée d’un simple berceau de campagne en bois, renversé sur le sol et exhibant ses roues, elle ne donne qu’un titre pour indication, mais explicite : « planète à roulettes »…

Luc RIGAL – septembre 2007

Pour vous accompagner au milieu de mes créations dans cette exposition…

Regardez cet objet tel qu’il est et non tel que vous voudriez qu’il soit.

Arrêtez-vous devant et posez-vous la question : ou l’artiste se moque de moi ou il a voulu exprimer quelque chose. C’est ce moment-là qui est important. Soyons curieux.

Ce quelque chose peut être différent suivant la personne qui regarde… et même l’artiste lui-même, si il a été sincère, découvre souvent bien après ce qu’il croit avoir voulu exprimer…

L’œuvre au regardeur :

« Je suis ce que je suis, tu es ce que tu es, alors sois toi-même, laisse parler ce qu’il y a de profond en toi et rejoins-moi. » JM 2003

Mes objets, mes découpures sont une invitation à nous tous de faire de même avec ce qui vous tombe sous la main…collez…découpez…vite…sans réfléchir… sans se poser des questions de beauté, « est-ce que ça va plaire ? »… c’est vous qui vous exprimez… et vous pouvez le montrer ou non… mais le jour où vous déciderez de le montrer, alors vous aurez pris ce risque qui est l’adrénaline de toute personne qui se donne… Exposer c’est se foutre à poil… c’est exister.

« Si tu n’es pas capable de faire tout avec rien, tu ne feras rien du tout » Picasso

« La spontanéité est un art en soi » Baskine

« Sa découverte, sa date incendiaire, c’est la rapidité » René Char, parlant de Rimbaud

Un jour, j’ai entendu ce dialogue :

– Pourquoi tu as coupé la queue de ton chien ?

– Pour qu’on me pose la question

Et devant une œuvre donc :

– Pourquoi tu as fait « ça » ?

– Pour qu’on se pose des questions.

Pour Dada, chaque homme était un saint, chaque lieu un lieu sacré et chaque objet une relique… un rite religieux quoi !

Je ne sais pas si ce qui nous entoure relève d’un rite religieux à la Dada mais je crois qu’il y a de l’ironie autour de nous, du sérieux, de l’émouvant, de la poésie, du social, du politique aussi… le tout baignant entre deux clins d’œil que j’aime bien :

« Etudes pour un monde un peu moins chiant », titre d’une exposition d’Erik Dietman (1980)

« Et la gravité dans tout ça ? », citation ironique d’Einstein

Chaque œuvre trouve un jour ou l’autre son public, son interlocuteur.

« Qui oserait prétendre que le parfum des aubépines est indifférent aux constellations ? » Victor Hugo.

Je vous livre ici ce parfum des aubépines qui devrait, je l’espère, titiller votre émotion, émotion qui est le moteur de la vie, à la source de toute activité humaine. Avec toujours cette idée de liberté.

Il règne ici une certaine philosophie sentimentale ou nostalgique, proche du romantisme,  parfois critique contestataire, et surtout libertaire… Les révoltes artistiques, politiques et morales sont inséparables : je manipule ironiquement, politiquement, moralement l’objet trouvé (mes « collures »), les sculptures de papier (mes découpures), mes dessins instantanés ou mes photographies de hasard…

Cette démarche sociale et ouverte flirte avec la poésie et le politique : voilà un encouragement pour le spectateur à avoir un vrai regard sur les objets de peu qui nous force à avoir un autre regard sur les gens, les gens de peu, les laissés pour compte… il n’y a pas d’objet abandonné, il ne doit pas y avoir de gens abandonnés.

J’ai en moi une liberté spontanée d’expression: étincelle surprise, imprévu, improvisation, éphémère saisi dans l’instant pour lutter quelque part contre la disparition.

Avec, comme compagnon ce temps qui nous échappe, donc avec une certaine urgence.

Retrouver la sensibilité, au-delà de l’indifférence qui nous mine, en cultivant cette proximité, si chère à des relations humaines indispensables à un art de vivre ensemble: j’ai l’impression de tendre un miroir aux gens.

Je fais ça pour ne pas avoir à donner d’explications.

Jean MAUREILLE