Le pas de côté

L’art de l’atelier à la rue sans intermédiaire et sans contrainte

Pendant 5 ans, de mai 2012 à mai 2017, Jean Maureille et Luc Rigal ont suggéré une halte visuelle vagabonde à la galerie-vitrine « Le Pas de côté » au n°37 de la rue Saint-James à Cahors, lieu d’expression artistique occupé par les deux artistes en alternance.

Cette formule inédite d’exposition / installation a été conçue pour s’adresser au public le plus large comme au connaisseur le plus avisé, en relation avec les possibilités de perception populaire que transmet le mouvement de la rue.

C’est le passant de la rue qui fait l’oeuvre

Les intentions des 2 artistes à l’origine des 30 installations

« Le Pas de côté » est une forme de galerie d’art visant l’intervention spontanée. Créer un lieu d’expérimentation artistique sans moyens, c’est possible, en tout cas ici, où la population se montre favorable à la création vivante. Il nous fallait d’abord un espace entièrement visible de l’extérieur, permettant au public de percevoir les cimaises et le sol d’un même regard, sans qu’il soit besoin d’y pénétrer. Il nous fallait aussi la rue animée, établissant un contact permanent entre nos productions et les passants. À Cahors, la rue Saint-James, piétonne et centrale, s’y prête idéalement : nous y avons établi, au milieu des boutiques d’artisans, des restaurants et des cafés alternatifs, des espaces artistiques et militants, Le Pas de côté, petite galerie hors-normes en relation avec la vie commune et l’actualité quotidienne des habitants : cet espace consacré à l’art se situe dans la continuité de plusieurs approches d’art libre dans l’histoire de la ville de Cahors (1).

Le fonctionnement d’une vitrine-galerie ne peut réussir pleinement que s’il est également le fruit d’un collectif de créateurs. Un seul occupant ne suffit pas à renouveler l’intérêt des passants et maintenir avec eux un contact permanent. Jean Maureille, artiste de l’objet trouvé, du dessin rapide, de l’image de presse réinterprétée et de l’instantané en photographie, partageait donc avec Luc Rigal ce lieu d’intervention où Luc introduit à son tour peintures, dessins et volumes incongrus, à sa convenance. La dissemblance de leurs pratiques ne cachait pas une même volonté de création directe, mâtinée de moqueries et d’humour, et perceptible par tous.

Il ne s’agissait pas de profiter d’un lieu de passage pour simplement exhiber sa production ou solliciter la minorité habituelle d’acheteurs potentiels (ce qui équivaudrait à reproduire les conditions du marché), mais de faire vivre un espace de rendez-vous artistique/politique avec la population sans distinction d’origine ou d’activité.

Les deux artistes définissaient ainsi leur double préoccupation, à l’origine du projet :

« 1) Trouver un moyen de présentation de notre activité artistique indépendamment du marché de l’art et des institutions culturelles.
2) Entrer en prise directe avec les émotions et les aspirations d’un public populaire, en partageant avec lui sa perception, au quotidien, de l’actualité, du vécu social, de l’imprévu, etc., avec toute la diversité des moyens expressifs dont nous disposons ».

Jean Maureille et Luc Rigal ont pris possession chacun à leur tour de l’espace, certaines fois ensemble, et ultérieurement en invitant occasionnellement d’autres artistes à partager cette expérience. Sans intermédiaire ni dépendance d’aucune sorte, la liberté d’expression devient totale. Les prix des œuvres sont absents ; le galeriste, apparu avec la commercialisation profane de l’art et la consécration du capitalisme, disparaît de la scène. Subsistent la proposition de l’intervenant et celui qui la perçoit, autour d’un rendez-vous matérialisé par le lieu en correspondance avec la rue. Seules indications en vitrine : les coordonnées permettant de joindre directement le ou les exposants, et les commentaires servant à apprécier l’installation en cours.

Les occupants

Le lieu a les dimensions courantes d’une petite boutique ou galerie d’exposition. Il reste constamment fermé (sauf exception), les œuvres étant visibles par la vitrine dans la totalité de l’espace. Nous alternons chacun à notre tour notre intervention sur la base informelle d’un mois sur l’autre, certains mois pouvant donner lieu à une exposition commune ou même, exceptionnellement, à la participation d’un artiste tiers sur invitation (comme cela se pratique dans les concerts de jazz/musiques improvisées, par exemple). Aucun sujet, matériau, médium ou autre n’est interdit. Chaque période d’occupation de cet espace donne lieu à une installation d’œuvres déjà effectuées ou à une création originale. Des indications : titres, commentaires ou rajouts de textes enrichissant le sens de la présentation sont indiqués sur la vitrine, ainsi qu’un numéro de téléphone permettant de prendre contact avec le ou les artistes présentés.

Les occupants

Jean Maureille et Luc Rigal, se connaissent bien pour avoir souvent exposé ensemble.

Jean Maureille : travail principalement à partir de l’objet trouvé, du dessin rapide et de l’image de presse recomposée. Expression aussi par la photographie et le texte.

Luc Rigal : travail essentiellement dans les domaines de la peinture et du dessin (figuration communautaire), éventuellement dans la reproduction lithographique et la sculpture.

« Nos pratiques se rejoignent par l’importance accordée à l’expression spontanée 
et la propension que nous manifestons l’un et l’autre à interpréter la réalité collective. En alternant nos approches, parfois en les conjuguant, au fil des présentations, nous avons multiplié les occasions de faire coïncider la diversité de nos créations dans leur enchaînement productif avec la capacité émotionnelle du piéton, engagé, au terme du hasard, à renverser le poids de l’habitude ».

Contacts

Jean Maureille

463, avenue du Maquis
46000 CAHORS
05 65 35 40 97
06 85 42 52 14
jean-maureille@wanadoo.fr

Luc Rigal

6, rue de Terre-Neuve
75020 PARIS
01 43 71 47 58
06 17 44 68 20
luc.rigal@club-internet.fr
blogs.mediapart.fr/blog/luc-rigal

(1) Petit rappel historique de quelques libres aventures artistiques à Cahors et dans la région

Dans un département agricole et avec son important marché paysan sur la place de la cathédrale à l’entrée de la rue Saint-James, Cahors est une ville fortement imprégnée de culture rurale.

C’est aussi là que depuis les années 1970 se sont menées des expériences d’exposition artistique en marge des circuits culturels et marchands habituels, ou les subvertissant d’une manière inédite.

En 1977, trois artistes occupent la galerie des Ateliers-Clément-Marot en saturant entièrement son espace d’un écheveau de pièces en bois inspirées de l’architecture paysanne (Jean Rédoulès, Jean-Pierre Rodrigo, Michel Zachariou).

L’année suivante, ce sont quinze artistes (les mêmes avec Louttre. B, André Nouyrit, Bernard Pagès, auxquels se joignent Jean Clareboudt, Jean-Pierre Pincemin, Claude Viallat et d’autres encore) qui entreprennent de produire et d’exposer leurs œuvres en relation avec une nature sauvage sur une surface exceptionnelle de 70 hectares, sur le causse environnant.

D’autres formes d’exposition collective originale auront lieu ensuite et jusqu’à aujourd’hui : au cœur de la ville dans un grand hôtel en défection, dans les rues et autour de villages ou le long d’itinéraires fléchés dans la campagne.

Il faut aussi rappeler l’influence dans le sud et sur la région des occitanistes quercynois Félix Castan et sa compagne, Marcelle Dulaut, qui créèrent non loin de là, de 1969 à 1997 tous les étés deux mois durant, la Móstra del Larzac, sur le causse du même nom. Cette manifestation, qui revendiquait son « absence de relations avec les galeries, musées, salons, Beaux-Arts », réunissait à chaque fois plus d’une centaine d’artistes exposants, présentés avec des artisans sur les préceptes d’un art « en contact direct avec des hommes qui travaillent, hors des hiérarchies, des consécrations, des cotes et des notoriétés ». Pour Castan et Dulaut, ce rassemblement devait préfigurer une « ligne de combat, solidarité humaine pour changer l’état des choses et participer à la véritable révolution provinciale qui ne s’inventera pas à Paris, mais ici, sur le lieu de travail » [1].

Cette révolution culturelle nécessaire, devait indiquer Félix Castan ailleurs, se pose comme constitutive d’un pluralisme d’influences et d’échanges réellement démocratique : « À partir de la nation une et simpliste que nous connaissons, aller vers la nation du XXIe siècle, une et complexe : ce n’est pas un jeu de langage. C’est une avancée de civilisation » [2].
Luc Rigal / décembre 2012

Notes :
[1] Félix-Marcel Castan, Manifeste multiculturel (et anti-régionaliste), Cocagne éditions, 1984, p. 65.
[2] Félix-Marcel Castan, Manifeste occitan, Cocagne éditions, 2001, p. 12.