VOS OBJETS, MONSIEUR…

 

 

Vos objets, Monsieur, demandent une certaine fréquentation.

Prenez par exemple « Une surprise à chaque pas » du musée de Cahors.

C’est un cube de plâtre reconstitué sur lequel cheminent deux paires de chaussures de ville d’un G.I. Joé peu recyclé. A les voir, ces godasses éternelles et fragiles qui flottent aux limites d’une surface devenue grisâtre, ne valent pas mieux que celles d’un Zénon. Mais, à la différence de celles de l’alchimiste, elles ont le pouvoir de se libérer de l’empreinte de leurs pas. Cet objet tout à fait étonnant a, depuis notre première rencontre, suivi son chemin. D’abord totalement anonyme, tout juste posé sur un vulgaire socle blanc, puis enfoui au-delà des réserves, le voilà maintenant rehaussé et glissant sur le métal émaillé de l’étagère E.9.6 des réserves d’Amsterdam. Il est mesuré, pesé, photographié, identifié et sera publié.

Sachez, Monsieur, que cette « surprise » coule actuellement des jours paisibles en compagnie des céramiques romaines, que des militaires d’un génie exercé découvrirent lors de travaux de construction de la caserne Bessières, à Cahors en 1876.Vous n’êtes ni militaire, ni romain, mais artiste.

Alors, avec votre permission, enfilons vos chaussures et marchons avec elles en toute liberté, dans le blanc de nos vies.

(Jean Maureille habite Cahors. Il est « fou » de Duchamp. Les gens d’ici connaissent son humour, ses petits objets de rien qui dans ses mains se transforment en marottes. Clins d’œil caustiques mais légers à l’absurde autant qu’à l’intelligence.)

Laurent GUILLAUT,
Conservateur en chef du musée de Cahors Henri Martin / 2006